Comment lire une partition ?
Il n’y a rien de plus simple -quelques conventions à connaitre tout au plus-, mais la densité d’information est très importante, beaucoup plus que dans un livre. Lorsqu’on suit une partition, on ne peut assimiler toutes les indications données pour chaque instrumentiste. Même pour la musique de piano, il est quasiment impossible de suivre « au vol » les mélodies, l’harmonie et leurs évolutions. Un travail préparatoire s’impose, pour comprendre comme est « faite » la musique.
Prenez d’abord la partition, touchez-la sur ses tranches et appréciez le travail : un beau papier, une belle calligraphie. Notez le nom de l’auteur, de l’éditeur, regardez la date d’édition, essayez de déterminer s’il s’agit d’une édition « romantique » comme on en faisait au XIXème, ou d’une édition « scientifique » comme on les préfère au XXème. Pour Bach, fuyez les premières, bien qu’elles soient fort belles : elles ont été arrangées. Espérons que vous avez une bonne édition, car il en est de mauvaises. Les plus anciennes sont gravées, et sont recherchées pour cela.
Les partitions sont chères, surtout en France. Le débit est faible, donc les prix sont élevés, ce qui diminue les ventes… Et puis les droits d’auteur… Par exemple, la musique de Jacques Ibert est tout juste passable –avec indulgence-, et ses héritiers âpres au gain : à fuir.
Mais vous trouverez votre bonheur sur le « Wiki » des partitions : IMSLP
Les puristes ne veulent pas des partitions « réduites » : qu’ils achètent les complètes ! Les partitions réduites sont nettement plus économiques, et on peut essayer de les jouer au piano. Elles ont même parfois été faites par l’auteur lui-même : c’est le cas de Wagner (c’était en fait son « premier jet », qu’il orchestrait dans un deuxième temps), ou par des musiciens accomplis : on ne peut passer sous silence les transcriptions de Liszt des 9 symphonies de Beethoven. Evitez cependant les 4 mains ! Ravel et Stravinski ont fait eux-mêmes des transcriptions de leurs œuvres : la Valse, Le Sacre du Printemps, Petrouchka… qui ne sont pas du tout faciles !
Ouvrez les premières pages. Admirez les gravures, l’introduction, la photo du compositeur… Vous trouverez ensuite la liste et parfois le nombre des instruments nécessaires. Ce cher Berlioz, qui ne doutait de rien, voulait 8 harpistes pour sa Symphonie Fantastique, puis se plaignait, dans ses Mémoires, de ne pas trouver assez d’instrumentistes de niveau convenable dans les petites villes d’Allemagne où il faisait ses tournées.
Au début de la partition, vous verrez le nom de l’œuvre, parfois la tonalité et le numéro d’opus, le nom du compositeur, et souvent la dédicace : « Der stadt Leningrad gewidmet », « Dedicated to the City of Leningrad » voit-on en tête de la Symphonie n°7 de « Schostakowitsch », dite « Leningrad », dans une édition new-yorkaise. Voyez comment ils écrivent le nom du compositeur, et essayez de comprendre pourquoi ils ont mis le titre et la dédicace en allemand et plus de l’anglais, mais pas en russe ! D’emblée vous constatez ce que je vous disais plus haut : il y en a de bonnes et de moins bonnes…
Toutes les indications « musicales » du compositeur sont en italien : c’était presque une norme internationale, mais maintenant chacun fait comme il veut. Richard Strauss les mettait déjà en allemand. En revanche, les didascalies, pour un opéra, sont dans la langue de l’auteur. Ce n’est déjà pas simple dans Wagner, alors voyez ce que cela peut donner pour Eugène Onéguine !
Ici, le rythme est « allegretto », c’est-à-dire assez vite, joyeusement. C’est plus léger que « allegro », et indique un peu d’avance que ça va être burlesque, car ce n’était pas spécialement « joyeux » à Leningrad, même avant que les Allemands arrivent. Le premier thème est grotesque et lourd : do-sol-ré-sol-mi, quarte descendante, quinte ascendante, quarte ascendante, tierce descendante, ce pourquoi tout professeur de musique virerait le dernier de ses élèves… Mais là, c’est du génie persifleur.
Le tempo est donné par l’indication « noire = 116 » : il faut jouer 116 noires à la minute : juste un peu moins que 120, ce qui en ferait 2 à la seconde. A l’armature, le signe C indique ¾ : 4 noires par mesure. Une mesure doit donc être jouée en moins de 2 secondes… Je ne sais comment font les chefs d’orchestre pour tenir un tempo aussi précis…
Sur la gauche, verticalement, la liste des instruments qui jouent ensemble, au moins sur la page considérée, repérés par le double trait vertical qui les unit. De bas en haut, on trouvera les bois, les vents, les percussions et les cordes. Le soliste, pour un concerto, ou les voix, dans un opéra, sont juste au dessus des violons.
Ici, on commence avec les « fagotti » les bassons, qui sont dans le grave (clé de fa), puis les trompettes. Attention, elles sont en si ! l’indication (B) le précise, par la notation anglo-saxonne des notes. Cela veut dire que quand le trompettiste joue un do, il produit un si. Donc, si on veut qu’il joue un do, il faut lui écrire de jouer un do#. Au cas particulier, je comprends plutôt que la trompette est en sib (H, si bémol), car sa première note est un ré, qui doit être un vrai do, et non un réb, pour l’harmonie. A moins que ce ne soit fait exprès pour sonner faux, mais ici, je n’y crois pas trop : ah l’importance de pouvoir faire confiance dans l’éditeur !
Ensuite, les timpani, c’est-à-dire les timbales. Une est réglée pour jouer un do, l’autre un sol. En effet les timbales s’accordent, parfois en cours d’exécution : les percussionnistes sont toujours des prestidigitateurs.
Puis les cordes : les violons (violini), les altos (viole, appelés Bratschen en allemand, car, dit-on, c’est le bruit qu’ils font quand on s’assoit dessus), les violoncelles (celli), les contrabassi (basses).
La suite du jeu consiste à déterminer la tonalité. Regardez l’armature des cordes, car ce ne sont pas des instruments transpositeurs. Ici, il n’y a ni bémol ni dièse, on est donc a priori en Do Majeur, ou en La mineur. La première note est un Do, et on ne voit pas de Sol# à l’horizon, on est donc bien en Do Majeur, ce qui va bien avec l’allure de marche militaire du terme.
Car les tonalités ont une « couleur ». Majeur, c’est a priori gai et joyeux, et mineur, a priori triste… Le Requiem de Mozart est en Rém, comme Dom Juan. Bach a exploré toutes les possibilités des 24 tonalités possibles dans ses 2 cahiers du « Clavecin bien tempéré ».
Pour trouver la tonalité à partir de l’armature, il faut se souvenir de la formule « fa-do-sol-ré-la-mi-si », et sa réciproque « si-mi-la-ré-sol-do-fa ».
Do(0b et 0#), Sol(1#, qui est le Fa#), Ré(2# : Fa# et Do#), etc, jusqu’à Si(5# : Fa, Do, Sol, Ré, La, Mi, Si), pour les modes majeurs. On obtient les modes mineurs en enlevant 3# (ou en ajoutant 3b à cette liste.)
Ou encore FaM (1b), SibM(2b), MibM(3b), LabM(4b), RébM(5b, mais on préfère dire Do#M, avec 4#), SolbM(6b, ou encore Fa#M avec 5# : voyez l’Andante de la Sonate Pathétique de Beethoven, pour une belle enharmonie).
C’est finalement assez simple, avec un peu d’habitude, l’ennui vient plutôt du fait que le compositeur s’amuse vite à moduler, c’est-à-dire à changer de tonalité. Heureusement, car sinon on n’entendrait que 8 notes, et on se lasserait vite. Et plus l’auteur est moderne, moins il se soucie des règles de passage. Mozart avait déjà fait de la polytonalité, avec ses 3 orchestres sur scène de Dom Juan, mais en s’arrangeant pour qu’il n’y ait pas de couacs. On a inventé l’atonalité, la musique sérielle et autres fantaisies, mais on en revient, car quand on a fait entendre d’un coup les 12 notes en même temps, il n’y a plus qu’à inventer d’en supprimer.
Cependant, voyez que Chostakovitch nous a mis un fa# tout au début de la partition : ce pourrait être un indice de passage en SolM, mais il insiste sur son DoM avec les trompettes et les timbales : non c’est une facétie, un grattement d’oreilles, peut-être pour nous signifier que la musique militaire joue faux, et plus sûrement pour affirmer, d’entrée de jeu que, malgré le ton allegretto, ce sera grinçant.
Beethoven jouait déjà à ça : au début de la 9ème symphonie, il nous fait entendre des Mi et des La : Mi-LA, La-Mi, Mi-La, en descendant. On a un bémol a la clé, c'est-à-dire Rém ou FaM. On est donc en incertitude tonale, majeur ou mineur, jusqu’à la 22ème mesure où il fait entendre enfin un accord de Ré mineur : Ré-Fa-La. Ouf !
On a calé les principales informations nécessaires : nous pouvons commencer la lecture, mais ce sera pour une prochaine fois.
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